Les incidents graves survenus à Paris au prétexte d’une pièce de théâtre et d’une publication de caricature soulignent s’il en était besoin, la nécessité de maintenir, promouvoir et défendre la laïcité, c'est-à-dire rappelons-le, la séparation stricte entre le domaine public relevant de la loi républicaine, et les croyances ou pratiques religieuses.
Manifestation intégriste contre une pièce de théâtre.
« Certains hommes croient en un dieu ; d’autres en plusieurs ; d’autres encore sont athées ou agnostiques. Tous ont à vivre ensemble. Cette vie commune…doit assurer à chacun et la liberté de conscience, qui exclut toute contrainte religieuse ou idéologique, et l’égalité de droit, incompatible avec la valorisation privilégiée d’une croyance. La puissance publique promeut le bien commun. Elle devra donc être neutre sur le plan confessionnel et développer, par l’instruction, l’exercice autonome du jugement. Afin que tous apprennent à vivre leurs convictions sans fanatisme ni intolérance….La laïcité n’est pas de l’ordre d’une option spirituelle particulière, mais constitue une condition de la possibilité fondamentale de la vie publique. On ne saurait en conséquence la renégocier sans cesse,…au gré des fluctuations du paysage religieux et des rapports de forces qui les sous-tendent. »
Henri Pena-Ruiz « Qu’est-ce que la laïcité. » Folio actuel.
Il ne s’agit naturellement pas d’assimiler l’ensemble des croyants à des pratiques provocatrices. Fort heureusement, la majorité des catholiques et des musulmans – pour ne citer que les obédiences les plus répandues en France - vivent leur foi pacifiquement et dans le respect des lois. (1)
Cependant il faut être attentif à certains phénomènes.
Des exceptions jusqu’ici pratiquées…
Comme toute conquête humaine, la liberté est fille de l’histoire. Aussi le statut dérogatoire de l’Alsace-Lorraine est-il maintenu, terre de concordat (2) où il n’est pas interdit de vous demander officiellement quelle est votre religion. Les clergés y sont rémunérés par la République et les écoles soumises en partie à la division cléricale. Dans l’ouest de la France (Bretagne, Vendée) le respect de la laïcité est encore un combat, certaines communes refusant l’instauration de l’école publique ou favorisant outrageusement un culte.
Depuis les lois Debré (1959), les écoles catholiques n’ont cessé de revendiquer plus de droits :
- Loi Goulard – député du Morbihan- 2002 : « Lorsque l'école privée est la seule institution éducative présente sur le territoire d'une commune, il est clair que le respect du principe constitutionnel ne peut avoir pour effet de limiter les concours apportés par la collectivité à l'enseignement privé. ». A la place de « privé » il faut lire naturellement école catholique ou diocésaine. ( Pour information 60 communes du Morbihan n’ont pas d’école publique ! )
- Plus récemment, sous l’ère Sarkozy, la loi Carle (2009) oblige les communes à financer la scolarité d’élèves d’écoles catholiques. La presse locale nous a informé des revendications du diocèse de l’Aube qui voit au-delà des frais de scolarité, les investissements nécessaires selon lui à son développement. La plupart des communes ont refusé ce dictat, mais le principe d’une soi-disant « parité » a été néanmoins validé. Il convient de noter que l’Association des Maires de France (présidence UMP) a accepté ce principe contrairement à l’Association des Maires ruraux.
Une évolution inquiétante.
Chacun se souvient des déclarations insultantes du Président de la République à l’égard des enseignants des écoles républicaines et des non croyants devant Benoît XVI et face au roi d’Arabie ! L’actualité plus récente doit éveiller l’attention des croyants et des non croyants face à des tentatives manifestes d’instrumentalisation des religions à des fins politiciennes.
La Toussaint est une fête chrétienne, familiale et privée. Les anciens maillotins se souviennent sans doute qu’en des temps reculés, cette fête était célébrée officiellement et confondue avec la commémoration du 11 novembre. Cet état de fait datait de la seconde guerre mondiale : la célébration du 11 novembre étant interdite par l’occupant allemand vaincu en 1918, nombre de communes instaurèrent un hommage aux « poilus » le jour de la Toussaint. L’habitude se maintint longtemps à Mesnil-Sellières.
Aujourd’hui, la Toussaint est redevenue ce qu’elle doit être, et la commémoration de l’armistice aussi. Aussi avons-nous été surpris d’apprendre que le député maire de Brienne- le-Château avait renoué avec une pratique née lors des années noires de l’occupation et ce en présence des autorités militaires en principe laïques ! Coïncidence ou contagion, les communes de St Parres aux Tertres, de Villechétif ont également opté pour la fête religieuse. (Libération 5 /11/2011). A Villechétif, le premier magistrat, M. Charigot a déposé une gerbe offerte par la municipalité devant la « grande croix du cimetière » violant ainsi d’un coup, deux lois républicaines !… Passons sur le fait que les cimetières, comme tous les autres lieux publics devraient être des lieux neutres et de ce fait libres de toute obédience (3) Il arrive que l’histoire et la tradition expliquent la présence de tels symboles, ce qui est le cas notamment dans notre commune (4). Mais il serait dangereux que de tels comportements se généralisent, ouvrant la voie à d’innombrables revendications communautaristes.
Un œcuménisme de combat…
La presse nous apprend également que les responsables des principaux cultes se réunissent régulièrement dans l’Aube comme ailleurs sans doute. Cela ne peut que réjouir les esprits pacifiques tant ces questions ont été et restent dans le monde à l’origine ou prétexte à d’interminables massacres. Nous sommes sensibles aux appels à la paix et à la concorde si souvent renouvelés – ce qui suffit à prouver que la chose ne va pas de soi ! Néanmoins, nous avons lieu d’être inquiets lorsqu’on lit que les religieux réunis le 27 octobre à Troyes prônent une « vraie laïcité », ce qui, on en conviendra, sort quelque peu de leur domaine de compétence ! Nos ancêtres républicains n’ont heureusement pas attendu l’avis des églises pour en définir les contours. Plus récemment, selon la presse, un certain « frère Jean Claude » lors d’une nouvelle session œcuménique dénonce à la fois : « l’islamisme, perversion de l’islam, la montée des intolérances religieuses, l’indifférence religieuse et l’athéisme méprisant… »
L’amalgame ne manque pas de saveur. En même temps cela ne rassure pas l’indifférent ni l’athée tout court, qui généralement ne revendique rien, ne demande ni carré spécial pour être enseveli ni cérémonial public pour ses fêtes familiales, ni bâtiment à lui seul réservé. Il ne veut, l’indifférent ou l’athée, que le respect et l’assurance de ne pas être enrôlé contre son gré.
L’escroquerie Le Peniste…
Les troupes de choc du GUD (Extrême droite) à Paris.
Dernier avatar de la « reconquête spirituelle », Mme Le Pen se présente en protectrice de la laïcité ! L’observateur, même peu informé se sera fait répéter le message ! Les liens de la famille Le Pen, père et fille avec le catholicisme intégriste sont de notoriété publique et le projet scolaire du FN prône ouvertement la privatisation de l’école républicaine (« chèque scolaire » ou « chèque éducation » chers aux libéraux depuis Milton Friedman).
Tout le monde a compris (sauf apparemment Mme Elisabeth Badinter) que la laïcité de Mme Le Pen visait uniquement les musulmans réels ou supposés. Nous savons bien qu’il y a des partisans de la laïcité à droite comme à gauche, un peu plus à gauche pour être tout à fait équitable. Pour ce qui est de l’extrême droite, Bernard Antony, membre fondateur du FN, président de l'AGRIF. (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne.) est venu en donner une version à Troyes sous l’égide du CARED (Comité d’action pour l’état de droit) en présence de l’adjoint au maire de Troyes Jacky Morin. « L'Agrif est le syndicat des Français qui défend tous les chrétiens » a déclaré M. Antony.
Personnellement, je suis assez heureux de ne pas être concerné.
(1) Rappelons une enquête récente concernant les croyances reconnues par les Français : pour simplifier 1/3 affirment croire en dieu toutes religions confondues et en moyenne 10% de ceux là pratiquent effectivement ; 1/3 restent perplexes ; 1/3 se déclarent athées.
(2) Concordat : système instauré sous le Premier empire et maintenu en Alsace Lorraine, territoire occupé par l’Allemagne (1870-1918) lors du vote de la loi de séparation des églises et de l’Etat.(1905). La république française a renoncé à faire appliquer la loi commune après la défaite allemande par crainte des tendances autonomistes alsaciennes et pour « solder » un certain nombre de conflits avec une église catholique encore marquée par l’opposition au régime démocratique.
(3) Le principe de neutralité des cimetières résulte de trois lois adoptées dans les débuts de la IIIe République.
La loi du 14 novembre 1881 a ainsi abrogé l'article 15 du décret du 23 prairial an XII, qui imposait aux communes d'affecter une partie du cimetière ou de créer un cimetière spécialement affecté à chaque culte, et interdit tout regroupement par confession sous la forme d'une séparation matérielle du reste du cimetière.
Celle du 5 avril 1884 a ensuite soumis le maire à une obligation de neutralité dans l'exercice de son pouvoir de police des funérailles et des cimetières.
Enfin, l'article 28 de la loi du 9 décembre 1905 a affirmé le principe de neutralité des parties publiques des cimetières, en interdisant « d'élever ou d'apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement que ce soit, à l'exception des édifices servant aux cultes, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »
Ces dispositions, dont certaines figurent désormais aux articles L. 2213-7 et L. 2213-9 du code général des collectivités territoriales, emportent également interdiction de créer ou d'agrandir un cimetière confessionnel existant42(*).
Elles trouvent leur justification dans la nécessité de respecter la liberté des croyances et des convictions en assurant la neutralité des lieux d'inhumation ouverts à toutes les confessions. Aristide Briand déclarait ainsi en juin 1905 qu'« un cimetière est un endroit collectif sur lequel tous les habitants d'une commune ont des droits : les protestants, les israélites ou libres penseurs comme les catholiques.»
(4) On considère généralement que notre croix de cimetière marque symboliquement la trace de l’ancienne église de Sellières aujourd’hui disparue
Une des banderolles brandies par les intégristes.
Union sacrée? Le même jour intégristes catholiques et musulmans à Paris.
Voir ci-dessous la déclaration de l’UFAL.
Les intégrismes religieux unis contre la liberté d’expression :
c’est en France que ça se passe !
Par l'UFAL
Mercredi 2 novembre 2011
Fanatisés par leur conception particulière de la religion, des intégristes catholiques s’en sont pris à la liberté de création et de représentation théâtrale (Sur le concept du visage du fils de Dieu, de Romeo Castellucci au Théâtre de la Ville), causant de graves troubles à l’ordre public. Si les précédents ne manquent pas (attentat de 1988 contre un cinéma projetant La dernière tentation du Christ de Martin Scorsese, saccage récent de l’œuvre Piss Christ d’Andres Serrano), le plus étonnant cette fois est le soutien apporté par un contingent d’intégristes musulmans dont les propos confus sont rapportés sur le site islamenfrance.fr. C’est par ailleurs sur ce site qu’a été publié le 31 octobre un appel « pour rigoler » à brûler Charlie Hebdo.
Un pas de plus vient d’être franchi avec l’incendie criminel qui a détruit les locaux de cet hebdomadaire. Le fanatisme révélé à l’époque des caricatures du prophète par les menaces et le procès fait au directeur de Charlie Hebdo n’a fait que croître.
Ces graves atteintes à la liberté d’expression démontrent qu’il ne doit pas y avoir de tolérance pour l’intolérance dans notre République laïque.
Pour l’UFAL, qui avait en 2007, à l’occasion des Rencontres Laïques Internationales, soutenu Charlie Hebdo traîné en justice, il ne s’agit pas seulement d’atteintes à la liberté d’expression, mais de menaces pour l’ensemble des libertés publiques. Seule la laïcité garantit que les expressions religieuses ne puissent plus devenir synonymes d’oppression des autres formes de pensée, ni des libertés d’autrui. La loi du 9 décembre 1905 a ainsi placé en tête de son article premier le principe de la liberté de conscience, c’est-à-dire le droit de croire, ou ne pas croire, de douter, ou de refuser de se prononcer en la matière. C’est pourquoi nous souhaitons que les articles 1er et 2 de la loi de 1905 soient intégrés à la Constitution française et que la date anniversaire du 9 décembre devienne une fête reconnue, non par simple devoir de mémoire mais comme impératif démocratique pour l’avenir.
Au moment où des inquiétudes se font jour sur le devenir des « révolutions arabes », sous l’effet d’intégristes cherchant à imposer l’emprise de la religion sur l’état, sur le droit civil, sur la situation des femmes et la liberté de pensée, sachons en France réaffirmer que le blasphème n’est pas un délit, et que seule la laïcité constitutionnelle garantit l’ensemble des libertés fondamentales
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Intégristes musulmans : même combat ?
Et sachons aussi agir : l’UFAL appelle tous les mouvements laïques qui partagent les principes fondamentaux de la république à œuvrer ensemble pour promouvoir le principe de laïcité comme facteur d’émancipation individuelle et sociale, défendre la liberté d’expression et exiger que le gouvernement fasse respecter les libertés publiques garanties par la Constitution.
par l'UFAL
Union des FAmilles laïques
http://www.ufal.org